L’automne prenait ses marques au-dessus de la Maurienne, les nuages colonisaient le ciel et se bousculaient comme une meute aux abois. La Vanoise exhibait ses sommets en cathédrales infranchissables, pics et glaciers noyés quelque part dans la grisaille. Il devinait le décor grandiose aux coins de son pare-brise, les yeux rivés à l’A43 qui remontait l’Arc à la manière d’un serpent noir.
Plus que quelques kilomètres pour atteindre le lieu de son crime. Il posa la paume droite sur son cœur : l’arme était là, fidèle au poste. Stresse pas, pensa-t-il, tout va bien se passer. Le scénario était calé dans les moindres détails, les commanditaires avaient tout prévu, des mois qu’ils travaillaient là-dessus. Mais rien à faire, il sentait son cœur se compresser à mesure qu’il se rapprochait. Il était comme ça, le parrain. Comme l’étaient tous ceux de son espèce, d’ailleurs, y compris ceux qu’il allait retrouver par là-bas, tous plus aguerris les uns que les autres. Il franchit un à un les bourgs de la vallée, concentré sur la mission qu’on lui avait confié.
Hermillon : le panneau s’imposa comme l’entrée d’un nouveau monde. Il se gara, la voiture anonyme au milieu des autres, tâta encore son arme à travers la poche de sa veste. Et, le pas rapide, il se dirigea vers la salle polyvalente. C’est là que ça allait se passer, lui avaient dit les commanditaires. Cette fois, il ne pouvait plus reculer. Il y avait foule dans la grande pièce. Derrière des tables étaient assis plusieurs malfrats comme lui, déjà bien occupés à commettre leurs délits, il les salua d’un regard complice. Il se faufila parmi les silhouettes de tous les inconnus venus se masser dans un tel lieu un jour de weekend, s’installa à son tour à la place qu’on lui désigna. Il détailla les visages, hommes, femmes, enfants, se demanda qui allait être sa première victime. Un type s’approcha de lui, enfin, esquissa un sourire qui avait tout de sincère. Ça y est, pensa-t-il, c’est parti. Il plongea dans sa poche une main moite et tremblante.
Pour en sortir son plus beau stylo.
Et signer le livre que lui tendait le lecteur.
Le salon du livre d’Hermillon était lancé, avec pour thème Intrigues et vous. Ça se présentait à merveille, ça allait être un beau moment de littérature. Et franchement, il était vraiment enchanté d’en être le parrain.
Colin Niel