Je l’avoue, quand on m’a donné le thème du salon d’Hermillon cette année, j’ai levé les yeux au ciel. Le territoire ? Un thème bateau, fourre-tout, rebattu, bref, un casse-tête pour celui qui va écrire un petit mot d’introduction en se demandant comment trouver quelque chose d’un peu original à raconter. Original, je n’ai pas. En revanche, en réfléchissant à ce thème, je me suis rendu compte assez vite qu’il était bien moins banal que je l’avais cru.
Le territoire est un dérivé de la terre. La nôtre, celle où nous vivons, non pas au sens de la planète mais de notre bout de jardin, notre bout de canton, notre bout de pays. Encore que la planète comme territoire, ce n’est pas insensé, c’est une question de point de vue – immense. Ce qui me fascine dans le territoire, c’est ce qui ne se dit pas : c’est l’appartenance. Quand je parle de territoire, c’est pour désigner un espace occupé par des êtres, hommes, bêtes, autre chose peut-être. Un coin qui leur appartient, qu’ils ont conquis parfois, où ils ont trouvé des conditions de vie favorables, ou tout simplement possibles, mais avant tout un endroit à eux. Cela n’empêche pas de le partager. Mais quand on dit : « c’est mon territoire », ce n’est pas rien. Ça a de la force, de l’ancrage, des racines.
Ce territoire nous appartient. Cela marche dans les deux sens cependant : souvent, nous lui appartenons aussi et nous en sommes heureux, fiers – parfois nous nous en sentons prisonniers et nous rêvons de le quitter parce que nous pensons que notre territoire est ailleurs. Dans tous les cas cela fait partie de nous, cela nous constitue. Être de nulle part est un défi que je ne saurais pas relever. Le territoire peut être grand comme le monde ; parfois il se réduit à l’espace d’une chambre ou même, dans une chambre à plusieurs, à son propre lit. Il est là où je me sens chez moi, l’immensité d’un pays ou le terrier que je me suis fait quelque part.
Les livres parlent fréquemment de territoire. Il faut dire que ça s’y prête : des paysages grandioses qui emmènent le lecteur en voyage, des petits bois sombres qui inquiètent, des cités de caïds où on tue pour faire sa place, une maison dans laquelle se passe quelque chose d’incroyable, un quartier, une famille, un couple – le territoire est un sujet romanesque infini, qu’il soit le décor ou qu’il soit l’intrigue. Cette édition est l’occasion d’en découvrir bien des facettes. Souvenez-vous que sa racine étymologique est la même que terrine ou terrasse : tout un programme, non ?
Sandrine Collette